La question foncière avant 1978
Avant la prise de possession par la France en 1853, l'archipel néo-calédonien est occupé par des clans, liés entre eux par un jeu d'alliances complexes. Chaque clan, dans cette société traditionnelle, occupe ou étend son influence sur une zone, que l'on pourrait appeler territoire clanique. Et déjà, au gré des alliances ou des migrations, les clans se déplacent.
Au moment de la colonisation, l'administration bouscule cette organisation traditionnelle en instituant les réserves autochtones et en créant les tribus. A partir de 1876, la constitution des réserves s’accélèrent. Avec l’arrivée du gouverneur Feillet en 1894, dont l’objectif est de favoriser et d’organiser la colonisation libre, les délimitations de réserves se généralisent y compris sur la côte Est jusque-là plutôt délaissée. Cette opération dite de cantonnement a vu la taille de certaines réserves diminuer pour laisser la place aux colons. Les clans de la région mais aussi d'autres venus de plus loin, ont été regroupés pour libérer l'espace nécessaire à l’installation des colons. Dès l'instauration des réserves, les clans déplacés n'ont eu de cesse de vouloir retrouver leurs territoires d'origine.
Parallèlement se met en place une organisation administrative de la coutume : création du service des affaires indigènes, délimitation du territoire en districts et en tribus, avec à leur tête des chefs nommés et rémunérés par le gouverneur.
En même temps, au sein des réserves, de nouvelles relations se tissent entre les clans. Une nouvelle organisation sociale s’établie autour des chefs et des conseils des anciens, de telle sorte que la tribu, malgré ses origines essentiellement administratives, tient aujourd'hui une place très importante dans l'organisation de la société kanak. Jusqu’à la mise en place de la réforme foncière, les emprises de territoire des tribus se sont agrandies très lentement au gré des demandes faites par les chefs coutumiers à l’administration, sur la base de justification principalement démographique. La superficie des réserves s’est lentement accrue pendant le vingtième siècle.
A partir des années 1970, avec la démographie croissante et la fin du boom du nickel, des revendications de reconnaissance des territoires ancestraux et de l'identité kanak ont commencé à s’exprimer de manière de plus en plus forte. Ce mouvement est à l'origine de la première réforme foncière, impulsée en 1978 par le ministre Paul Dijoud.
La réforme foncière de 1978 à aujourd’hui
La réforme foncière a débutée en 1978, lorsque le ministre Paul Dijoud présente "le plan de développement économique et social à long terme pour la Nouvelle Calédonie".
Le plan Dijoud marque le véritable démarrage des réformes foncières et propose de "régler le problème foncier dans la perspective du respect des droits historiques des communautés mélanésiennes". Il se fixe quatre objectifs :
- Redonner aux clans, dans toute la mesure du possible, l'espace traditionnel sans lequel ils ne peuvent vivre pleinement selon la coutume.
- Affermir la position des colons qui vivent et travaillent sur leurs terres.
- Permettre aux mélanésiens qui le désirent de devenir des paysans, en dehors des réserves, dans le cadre du droit civil.
- Favoriser la mise en valeur des terres redistribuées.
A partir de 1978, la question foncière sera abordée à chaque tournant important de l’histoire calédonienne récente. Tous les textes juridiques fondamentaux pour la Nouvelle Calédonie, jusqu'à l'accord de Nouméa et la loi Organique de 1999, ont eu un volet traitant du foncier.
Entre 1978 et 1986
La réforme est conduite par la Nouvelle Calédonie.
Elle est mise en œuvre par le service du domaine, en application de la délibération 116 du 14 mai 1980, prise par le Congrès de la Nouvelle Calédonie. La délibération propose des attributions sous le régime du droit commun, mais aussi sous le régime coutumier : soit aux tribus suivant le principe de l'agrandissement de réserve autochtone, soit aux clans dont les droits sont reconnus. A partir de 1982, le territoire de la Nouvelle-Calédonie continue d’attribuer des terres jusqu’en 1986, mais le pilotage de la réforme change de main.
Entre 1982 et 1986
La réforme est conduite par l'Office Foncier, établissement public d'Etat.
L’Office a pour but "d'acquérir des terres en vue de les mettre à disposition de personnes physiques ou morales, et de permettre aux groupements relevant du droit particulier local d'exercer leurs droits fonciers coutumiers". Œuvrant pendant la première période des "événements", l'Office a principalement acheté des propriétés et a peu attribué.
Entre 1986 et 1988
Un changement d'orientation s'opère avec la création de l'Agence de Développement Rural et d'Aménagement Foncier, établissement public placé sous la tutelle du Territoire de la Nouvelle-Calédonie.
Ses missions sont d'acquérir des terres, de les aménager et de les rétrocéder à des personnes physiques ou morales ou à des groupements de droit particulier local. Le législateur a voulu accentuer la réforme foncière au profit des exploitations agricoles individuelles. Aussi, la quasi-totalité des attributions engagées par l'ADRAF territoriale a été effectuée sous forme individuelle et, pour les deux-tiers, au profit de non-kanak.
Entre 1989 et 1999
L'Agence de Développement Rural et d'Aménagement Foncier change de tutelle et la réforme est à nouveau menée par un établissement public dépendant de l'Etat.
Dans le respect de la notion de rééquilibrage inscrite dans les accords de Matignon et Oudinot, l'ADRAF d’Etat acquiert moins de foncier que ses prédécesseurs, et réalise de manière consensuelle la plupart de ses opérations d'attribution au bénéfice des clans kanak, organisés en groupements de droit particulier local (GDPL). Dans ses premières années, son action est encore marquée par l’aspect développement agricole des premières réformes; ainsi, était-il demandé de définir un projet économique de mise en valeur des terres lors du dépôt de la candidature à l'attribution. En pratique, le critère économique a moins joué que le critère du lien à la terre.
A partir de 1999
La loi organique, puis le nouveau décret régissant les actions de l'ADRAF, prévoient explicitement que les attributions foncières peuvent aussi être réalisées sur le seul critère du lien à la terre.
Aujourd'hui
L’action de l’ADRAF est principalement consacrée aux attributions en terres coutumières. En plus des attributions aux GDPL, l’agence procède également à des cessions directes aux tribus.
L'accord de Nouméa a fixé un plan de marche qui prévoit à terme une prise en charge locale de la question foncière, par le transfert de l’agence à la Nouvelle-Calédonie.